Les gouttes glissaient contre la vitre, formant de lourds rideaux d'eau qui coulaient jusqu'en bas dans une lenteur las. Mélanie observait le ciel s'ébattre contre sa fenêtre. Elle devinait l'état du sol , devenu une immense flaque de boue, au clapotis flasque de la pluie. Cela faisait presque une demi-heure qu'elle était là, enroulée dans sa couette, les yeux rivés sur ce volet, qu'elle avait oublié de fermer, et à cause duquel elle n'arrivait pas à fermer l'oeil. Enfin ... Ce n'était qu'une infime parti de la cause de son insomnie. En effet, il y avait bien plus excitant que ces rouleaux d'eau glacée balayant la vitre de sa chambre. Beaucoup plus excitant. La veille au soir, son père l'avait appelée. Il avait utilisée son prénom tout entier, alors qu'habituellement, il se contentait du diminutif affectueux "Mel", qui lui rappelait combien elle comptait pour lui. Mais hier, non. Il l'avait appelée Mélanie. En toute lettre. Au son de sa voix, la jeune fille avait compris qu'il se passait quelque chose d'important, quelque chose de rare, presque précieux. D'abord, elle avait cru à quelque chose d'impensable, une nouvelle belle mère, un nouveau petit frère, un déménagement, une maladie incurable ... Un tourbillon d'idées avait ramoné sa cervelle avant qu'elle ne se décide à descendre l'escalier et à la rejoindre dans la cuisine. Le visage souriant de son père avait tout de suite effacé ses craintes, il n'y avait donc rien de grave. Tout s'était ensuite passé très vite. Il avait simplement prononcé six mots. Pas un de plus. Pas d'explications. Juste Six mots. Six petits mots qui avaient résonné dans l'esprit de la jeune fille et qui y flottaient encore. Six mots qui avaient déclenché cette insomnie. Six mots qui l'empêchaient de trouver le sommeil. Six mots qui allaient réaliser son rêve.

« Nous allons voir un cheval demain. »

Mélanie jeta un regard au portable posé sur sa table de chevet. Il était 6 h oo du matin. Le dépary avait été fixé à 8 h oo. Il lui restait donc deux longues heures à attendre. S'étant faite à l'idée qu'elle ne parviendrait pas à dormir une seconde de plus, l'adolescente repoussa la chaleur de sa couette et posa ses pieds au sol. Ils s'abandonnèrent naturellement à la paire de chaussons emmitouflés qui les attendaient au pied du lit. La blonde attrapa son peignoir, s'en entoura puis quitta précipitement sa chambre. La maison était vide et silencieuse. Le jour commençait doucement à réchauffer la pièce centrale. Celle-ci baignait dans une chaude lumière de début de journée. Mélanie emprunta le chemin de la cuisine. Elle avait besoin de forces, afin d'affronter son plus grand rêve. Elle engloutit ses toasts avec gourmandise avant de remonter, quatre par quatre, les marches de l'escaliers. Elle croisa son père, et lut dans son regard qu'il partageait son excitation. Elle rejoignit sa chambre après quelques paroles échangées. Non sans hésitations elle opta pour une culotte d'équitation toute simple, noire corbeau, avant de choisir un polo bordeaux, une paire de chaussettes grise foncées, et une veste HKM, également grise. Mélanie regarda sa montre, pour le neuvième fois depuis ce matin, et soupira, désespérée. L'heure n'avançait pas assez vite à son goût. Elle avait encore une demi-heure, voir 45 minutes devant elle avant qu'ils ne prennent le départ, direction son domaine. Délicatement, elle attrapa son classeur, et en feuilleta les pages. Des images de chevaux étaient impeccablement rangées dans les pochettes plastiques. Depuis petite, elle les collectionnait et rêvait d'un jour pouvoir posséder un de ces chevaux pour de vrai. Et ce jour semblait pointer le bout de son nez ... Du moins si l'horloge voulait bien accélérer son ascension dans le temps !

L'appel de son père n'eut pas besoin d'être répété, Mélanie dévala les escaliers et ils prirent la route. Bien heureusement, le domaine n'était qu'a une dizaine de minutes de chez eux. Mélanie s'y rendait en vélo, lorsqu'elle voulait s'évader un peu. Des demi-pensions, elle en avait eu. Des poneys, des doubles, des petits chevaux, et même un shetland ! A chaque fois, cela s'était terminé bien trop tôt : propriétaires pressés de récupérer leur monture, déménagement, plus de temps et bien d'autres raisons qui avaient mis fin à ses contrats. Actuellement, le domaine était donc complètement vide. Et ça en était désespérant. Aujourd'hui, la blonde en était sûre, tout ça allait changer.

Cela faisait à peine quelques minutes qu'ils attendait dans la cour principale, son père et elle, lorsqu'un pick-up gris métallisé fit son entré, tirant un énorme van noir ébène. Le coeur de l'adolescente manqua un battement. Elle se leva de sa chaise, et se précipité au portail, afin de laisser entrer la caravane. Un coup dans le van se fit sentir, déséquilibrant presque l'habitacle qui tangua quelques instants de gauche à droite. Mélanie eu un élan de recul. Elle jeta un regard curieux à son père qui s'apprêtait à saluer le marchand. Ce dernier coupa le moteur et sauta de son véhicule. Il serra la main à l'homme avant d'hocher poliment la tête en guise de salutations envers la jeune fille. Celle ci lui rendit son signe, en réalité, elle ne désirait qu'une chose : le découvrir. Le marchand ne la fit pas plus attendre et l'entraina vers le derrière du van. Mélanie s'appuya sur son père, se mit sur la pointe des pieds et là, sentit son souffle se couper. Elle aperçevait une sublime croupe noire corbeau, mêlée à un blanc presque immaculé. Ravie, elle recula lorsque l'homme qui avait transporté le cheval fit tomber la porte du van dans un bruit sourd. Mélanie garda sa réflexion pour elle, bien qu'elle eut l'envie de lui faire remarquer que ce n'était pas la manière la plus rassurante d'ouvrir un van. Sa colère ne dura qu'une seconde car elle découvrit le sublime animal qui avait voyagé jusqu'à elle. De longs membres élancés, striés par une magnifique robe pie. Des cins, bien qu'emmêlés, légèrement ondulés, recouvrant une encolure fuselée mais tout en muscle. La perfection ...

« Tiens, descends le, Mél. »

Son père brisa sa rêverie. Mélanie se tourna vers lui et attrapa du bout des doigts le licol qu'il lui tendait. Elle s'en empara et monta sur le pont du van. Plus la proximité avec le cheval se faisait courte, plus le coeur de la jeune fille semblait vouloir sortir de sa poitrine. Lorsqu'elle pénétra dans le van, du côté ou la place était vide, l'odeur de la peur de l'animal la prit au nez. Avec délicatesse, elle se déplaça, en silence, et glissa jusqu'à l'avant du van, jusqu'à la tête du cheval. Outrée, la blonde remarqua sa robe trempée de sueur, ses membres tout tremblants. Elle laissa même échapper un hoquet de surprise lorsque son regard croisa celui du cheval. Les yeux de l'animal lui firent l'effet d'un coup. Deux prunelles d'azur cerclées de noir, comme plongées dans l'enfer. Ces yeux étaient vides de tout, d'envie, de vie, d'amour, de curiosité. Il n'y avait rien. Absolument rien, mise à part une once de dédain, certainement là pour impressionner la nouvelle venue. Mélanie sentit un frisson remonter le long de sa colonne vertébrale. Les larmes brouillèrent sa vue. Délicatement, elle approcha ses doigts des naseaux feutrés de son nouveau compagnon. Celui-ci eu un léger mouvement de recul, avant de se laisser faire, presque impassible. Elle déposa doucement ses doigts sur le chanfrein immaculé de l'étalon avant que, violent, il ne donne un coup de tête vers le haut, faisant comprendre à la jeune fille qu'il n'avait pas envie de câlins. Mélanie sentit toute son excitation, tous ces rêves qui l'avait tenue éveillée, toute cette appréhension retomber d'un coup. Peut être qu'elle n'était pas prête finalement. Peut être que ce n'était pas une bonne idée ... Déçue, ou plutôt désorientée, elle redescendit, sans le cheval. Son père allait ouvrir la bouche mais elle lui intima de se taire d'un regard et donna le licol au marchand.

« Je vous ouvre le paddock »

L'homme ne se fit pas prier, pressé de reprendre la route. Il monta à son tour, enfila le licol à l'animal, sans se soucier des mouvements de celui-ci et tapota son poitrail afin de le faire descendre. En un bond caphaonique, l'étalon mit pieds à terre. La bête était complètement sur l'oeil. La nuque haute, il hennissait sans retenue, tapait du pied, tentait de se cabrer. Le marchand n'hésitait pas à tirer séchement sur la longe, histoire de le remettre à sa place. Il parvint à le mener jusqu'à l'entrée du pré, où là, il défit la boucle du licol et laissa l'animal s'ébattre en toute liberté. Le pie ne se fit pas prier et fonça jusqu'au fond du pré, plein fers, la queue en panache, fier mais tout de même anxieux. Le marchand rendit le licol à la jeune fille et remonta dans son véhicule. Il en ressortit avec les papiers. Le père de Mélanie et l'éleveur se dirigèrent vers l'intérieur du domaine, afin de signer les papiers. De toute façon, il n'y avait pas d'autres issus pour cet animal, c'était ici, ou à la boucherie. Les deux hommes pénétrèrent dans le batiment, et le silence retomba, pesant, et presque gênant.
Mélanie passa ses jambes au dessus de la barrière et s'y accouda. Elle observa l'étalon galoper pleine balle dans le pré, puis se stopper net, cabrer, affrontant des concurrents invisibles. Plusieurs fois, la jeune fille tenta d'attirer son attention, elle siffla longuement, l'appela par son nom. Elle dansa, s'agita, battit l'air de ses bras, cria son nom mais rien. Le cheval l'ignorait parfaitement. De temps en temps, il stoppait sa course folle, broutait quelques touffes d'herbe grasse avant de démarrer de plus belle. Mélanie resta bien une demi-heure à tenter de capter son attention, mais peine perdue, le cheval ne lui adressa même pas un regard.
Son père la rejoignit tandis que le toît du van disparaissait derrière les sapins du domaine.

«Alors, tu as réussis à le toucher ? »

Mélanie leva les yeux au ciel. Le toucher ? encore faudrait-il l'approcher ! Elle secoua la tête et sentit les larmes lui monter aux yeux. Et si elle n'était pas capable ? Si elle n'avait pas le niveau ? Peut être que tout ça n'était qu'une mauvaise idée en réalité, elle n'était surement pas prête. Son père sentit son désarroi. Il s'agenouilla à ses côtés et la colla contre lui. Il serra longuement ses épaules et prit une grand inspiration. Les yeux rivés sur l'étalon qui continuait à galoper, il murmura :

« Tu sais ce que je pense ? Tu n'as jamais rien abandonné. Tu as toujours été courageuse. Toujours. Alors ne baisse pas les bras maintenant. Et tu sais, les plus belles histoires prennent du temps. Ces regards qui se croisent, ces âmes qui s'apprivoisent en valent le coup. C'est l'attente qui rend les choses plus belles. »

Deuxième journée pour Mélanie et son nouveau compagnon. Déposée très tôt par son père qui partait au travail, l'adolescente se tenait maintenant à l'entrée de son domaine, les pieds dans les graviers, guettant le pré de son cheval, espérant y voir apparaître la silhouette bicolore de l'étalon. Son sac pendouillant à son épaule, elle s'avança, soupirant lorsque le vent vint lui lécher le visage, l'obligeant à courber la tête pour ne pas se recevoir de la poussière dans les yeux. Elle se dépêcha de pénétrer à l'intérieur du domaine, pour enfin être à l'abri. Elle lâcha un soupir de soulagement une fois à l'abri et se dévêtit. L'odeur du foin, et des chevaux lui monta à la tête. Elle inspira longuement, heureuse de retrouver cette ambiance dans son écurie. Posant son sac sur une table, elle l'ouvrit et se saisit du licol qu'elle avait utilisé la veille. C'était une magnifique pièce de cuir, d'une jolie couleur havane, qu'elle avait fait fabriquer pour son futur cheval. L'émotion était énorme, elle allait enfin s'en servir. Elle quitta l'espace abrité du vent pour replonger dans la fraîcheur de cette matinée et prit la direction du portail d'entrée du champs. Dès qu'elle fut arrivée, elle remarqua la silhouette, au loin, du cheval qui broutait paisiblement l'herbe grasse. Il semblait s'être calmée, et au vu de sa robe maculée de boue, il avait du goûter aux joies des roulades dans la terre cette nuit. Mélanie esquissa un sourire, peut être qu'aujourd'hui elle parviendrait à combattre sa peur et à l'approcher. Peut être que lui aussi, de son côté, allait faire des efforts. Mélanie se décida à le laisser faire le premier pas. Elle passa sous la barrière pour pénétrer dans le champs et s'assit, non loin de l'entrée, pour pouvoir sortir au cas où il y avait une urgence.

Plusieurs minutes passèrent sans que le cheval ne bouge. Il l'avait vue, elle le savait, car il avait redressé la tête et leurs deux regards s'étaient entrechoqués le temps d'un dixième de seconde. Cela avait suffit pour décrocher un bouquet de frissons à la jeune fille. Et pourtant, il ne venait pas. C'était bien le premier cheval non curieux au point d'ignorer un inconnu dans son pré. Mélanie le dévorait des yeux, elle prête à le gêner au point de faire peser son regard sur lui. Elle voulait lui montrer qu'elle en avait, qu'elle ne comptait pas lui laisser la paix, et qu'il allait devoir se résoudre à lui adresser au moins un autre regard avant la fin de la journée. Elle était comme ça, elle, elle n'abandonnait pas. Oui, elle doutait, bien sur qu'elle doutait. Mais ça c'était tout le monde. Les doutes l'envahissait comme ils envahissaient chaque personne sur terre. Mais elle, à chaque fois, elle trouvait le don de les balayer d'un revers de la main, elle était forte, forte et ambitieuse. Se donner des défis restait ce qu'elle aimait faire par dessus tout. Et Darksy était son nouveau défi.

Cela faisait environ une heure qu'elle était assise, les fesses dans l'herbe humide, à le regarder s'ébattre en toute liberté. Il ne l'avait pas regardé. Simplement et purement ignorée. Pourtant, petit à petit il se rapprochait. Mélanie l'observait. Elle connaissait à présent chaque tâche de sa robe, chaque forme de ses muscles. Elle avait prit le temps de connaître chaque détails. Ce cheval était en réalité une pure bombe. Une croupe galbée, des membres fins mais vigoureux, une encolure fuselée mais sculptée à la perfection ... Un physique de rêve. Malheureusement, il n'avait pas le caractère rêvé, et ça, Mélanie l'avait bien compris.

Soudain, le mâle fonça vers elle. Comme ça, sans prévenir. Subitement, sans préparation, il galopa, les naseaux frôlant le sol, gonflés de colère. Mélanie frissonna. Elle hésita à se lever et à partir en courant, mais non, elle resta assise. La peur la tétanisait, de toute façons. Elle agita les bras en l'air, pour montrer qu'elle était là, malgré tout. Ces jambes étaient devenues mousse, et elle ne trouvait plus la force de se lever, tant la peur la paralysait. Darksy stoppa net devant elle. Un filet de bave vint s'écraser à quelques centimètres de Mélanie, sur le sol. Celle-ci suffoqua. Ce cheval était capable de tout, elle le savait. Prenant son courage à deux mains, elle se redressa, petit à petit. Elle se mit à genoux. L'étalon bicolore lui jeta un regard glacial avant de se cabrer aussi haut qu'un cheval de haute école. Ses antérieurs retombèrent au sol en un chaos désorienté. L'ado l'observa, guettant sa réaction. Il fallait qu'elle s'impose. Agitant ses bras, comme si elle voulait saluer quelqu'un de loin, elle fit un pas vers lui. Elle voulait utiliser une technique : fuis moi je te suis. Elle accompagna ses gestes à des "hop" furieux, qui signifiaient au cheval qu'il ne devait pas s'approcher si près. Ce dernier recula et s'enfuit au grand galop, non sans jeter quelques coups de culs.

Plusieurs fois, l'étalon recommença ce manège. Il s'approcha d'elle, mais elle le fit fuir puisqu'il venait en dominant, avec un air menaçant et les dents en avant. Elle le repoussa chaque fois. Les oreilles plaquées en arrière, pourtant, il ne lâcha pas le morceau et revint à la charge. Seulement, au bout d'une demi heure, il s'approcha au pas, calmement. Dans ses yeux, Mélanie put lire une lueur vaincue. Elle baissa aussitôt ses bras. Délicatement, elle se rassit. L'étalon ne chercha pas le contact. Il se remit simplement à brouter paisiblement. Mais cela faisait toute la différence, il se tenait à moins d'un mètre d'elle. Et il semblait ravi, calme, et non anxieux et agressif. La jeune fille ne bougea peur, ayant trop peur de briser cette sorte de trêve qu'il avait installé entre eux. Elle resta ainsi deux heures, à le manger des yeux, et lui, broutant tranquillement, tournant autour d'elle, la surveillant du coin de l'oeil.

C'est un coup de klaxon qui rappela la blonde à l'ordre, son père était arrivé, elle devait partir. Tout doucement, elle se leva et épousseta son pantalon, non sans détacher son regard de l'étalon bicolore. Elle tendit la main, et effleura le dos brûlant de son compagnon. Celui-ci releva la tête, plongea ses yeux dans les siens, puis s'enfuit au fond du pré. Mélanie récupéra ses affaires le coeur léger, ce simple petit contact l'avait séduite.

Depuis hier, Mélanie tournait dans sa chambre. La veille, elle n'avait pas trouvé l'occasion de rendre visite à l'étalon bicolore, et un manque s'était formé au creux de son coeur. Elle sentait la culpabilité lui peser sur les épaules. Elle espérait, malgré tout, que le cheval, lui n'avait pas éprouvé cet abandon d'une journée. Aujourd'hui, elle allait remédier à tout ça, qu'il vente, qu'il pleuve ou qu'il neige ! Bien heureusement pour elle, et encore heureux, la météo affichait aujourd'hui un soleil rayonnant et une chaleur environnant les 16 degré. Tout ce qu'il y avait de mieux, donc. Toutes les qualités étaient réunies pour faire de cette journée une réussite. Et puis, Mélanie avait prévue une grande étape aujourd'hui : le licol ... Elle souhaitait réussir à lui passer au faire quelques pas avec lui. C'était ambitieux de sa part, surtout après un jour sans contact avec elle, mais elle comptait y parvenir. La blondinette était remontée à bloc, elle allait prouver au monde que deux caractères rudes pouvaient s'allier et devenir plus forts que n'importe quel autre couple. Elle allait prouver au monde que son cheval et elle pouvait réussir. Elle allait leur prouver !

Mélanie dérapa sauvagement dans les graviers. Elle passa sa jambe au dessus de son vélo et le fit rouler sagement sur les graviers, le guidant du bout des doigts par les poignets. La jeune fille s'avança jusqu'au bâtiment, là, elle y installa son vélo, dénoua l'antivol avant de le refermer autour de la roue de son deux roues. On n'était jamais trop prudents. Aussitôt fait, elle récupéra son licol qu'elle avait glissé dans son sac à dos, elle le disposa sur son épaule. Enfin, elle fouilla quelques secondes dans la petite poche de son eastpack, les sourcils froncés. Un sourire s'esquissa sur son visage lorsque sa main ressortit de la poche, chargée de trois carottes. Il allait reprendre goût à la vie, ce loulou, et pour ça, il n'y avait rien de mieux que trois bonnes carottes fraîches de ce matin, et provenant d'un agriculteur du marché qui avait été séduit par leur histoire et lui en avait fait volontairement cadeau.

La jeune fille arriva devant le pré, le sourire étendu jusqu'aux oreilles. Elle se sentait simplement bien. Cependant, malgré elle, elle redoutait ce moment. Elle le savait dangereux et cela l'amenait à rester prudente, malgré l'envie qui la terrassait de brûler les étapes. Elle le savait : demander souvent, se contenter de peu, récompenser beaucoup, s'appliquait pour Darksy. Après tout, elle n'en avait rien à faire que cela mette un an pour l'approcher. Comme l'avait dit son père, les plus belles histoires sont celles qui reviennent de loin. Et eux, ils semblaient avoir du chemin à faire avant de s'abandonner l'un à l'autre. Mais Mélanie s'en foutait comme de sa première dent de lait, car elle, elle aimait la difficulté.

L'adolescente ouvrit le portail du paddock, y pénétra et referma derrière elle. Lentement, elle fit quelques pas, fouillant le pré des yeux à la recherche de son occupant. Elle le trouva à l'ombre, les yeux clos, en train de somnoler gentiment sous les feuilles du grand chêne. Délicatement, elle s'approcha, tentant de faire le moins de bruit possible. Elle ne voulait pas le surprendre, car il risquait d'avoir une réaction violente sous la surprise. Elle choisit donc de le prévenir calmement qu'elle était là. Doucement, elle s'assit à quelques mètres de lui, en tailleur. Elle prit deux trois inspirations avant d'ouvrir la bouche et de commencer à fredonner sa chanson préférée, One Day, chanson d'Asaf Avidan qui avait fait le buzz après avoir été remixée. Cependant, elle, ne supportait pas cette nouvelle version et préférais l'ancienne, qui était pour elle, chargée d'émotions. Au fur et à mesure que al chanson avançait, Mélanie se vit obligé de chanter vraiment et cessa de fredonner pour ne plus mâcher ses mots. Elle ferma les yeux et lentement, se laissa emporter par la chanson. One day babe will be old, oh babe we'll be old, and think about all the stories that we could have told.

Un souffle chaud caressant son visage vint la faire taire. Darksy se tenait devant elle, les yeux ronds, comme étonné de voir ainsi une petite bipède chantonnant dans son pré. Mélanie, surprise aussi, sentit son coeur éclater de bonheur.Il n'avait pas mal réagit, et au contraire s'était même approché. Enfin, il faisait preuve d'un peu de curiosité ! Doucement et sans mouvements brusques, la jeune fille se leva, dépliant ses jambes en s'étirant discrètement. Le cheval avait reculé de quelques pas, et broutait à présent, la surveillant du coin de l'oeil. Amusée, la jeune fille fit à son tour un pas vers lui. Elle tendit la main et effleura son épaule du bout des doigts. Le cheval prit le pas, comme gêné par cet accès de tendresse. Il ne chercha pas à s'enfuir, mais tourna simplement autour de la jeune fille, les naseaux toujours plongé dans l'herbe grasse. Mélanie eu un sourire ravi. Il ne refusait pas ces caresses, il n'était simplement pas habitué à en recevoir. Lentement, elle tendit la main une deuxième fois et à nouveau ses doigts frôlèrent la robe maculée de son compagnon. La peau de ce dernier frémit à ce simple contact. Darksy ne bougea pas, cette fois ci. Mélanie sentit une bouffée de joie l'envahir. Elle avança d'un pas, la main toujours son épaule, et se plaça à la gauche de l'étalon. Le cheval ne bougea pas, mais son oreille gauche pivota vers la jeune fille, il était tout de même soucieux. Prudent, Mélanie déplaça lentement ses doigts le long de l'épaule, pour remonter jusqu'au garrot. Lorsque ses doigts passaient, l'épiderme bicolore frémissait. Délicatement, sa main glissa le long de la colonne de l'animal. Elle pouvait dès à présent sentir tous ces muscles en éveil, prêts à bondir au cas où il y avait un danger, elle sentait également ses os, puissants, qui ne demandaient qu'a être retravaillés. Elle passa sa main sous le ventre, toujours dans la même attitude. Le cheval ne s'agitait pas, mais restait sur ses gardes. Elle termina sa visite du propriétaire par la tête. Remontant le long de l'encolure fuselée du pie, elle glissa ses doigts dans la crinière emmêlée de l'animal. Celui-ci secoua vainement la tête, comme peu pré-occupé par sa coiffure. Mélanie laissa échapper un hoquet de rire. Le cheval, surpris par un bruit soudain, se campa sur ses quatre pattes et sursauta. D'un sifflement, la blonde l'apaisa, reposant sa main sur son garrot, pour lui signifier qu'elle était là.

Après ce quart d'heure découverte et câlins, Mélanie décida de commencer à voir pour le licol. Doucement, elle fit glisser la pièce de cuir le long de son bras et le posa contre l'animal. Celui ci ne bougea pas, mais sa peau frémit. Elle continua son ascension vers la tête du pie. Là, les oreilles de l'étalon se plaquèrent contre sa tête. Mélanie, ambitieuse, décida de ne pas s'arrêter là, et présenta la boucle de la muserolle devant les naseaux de l'étalon. Instinctivement, le cheval vint renifler le nouveau venu. Mélanie se contentait de le rassurer avec de léger "là mon beau". Elle réussit finalement à lui enfiler sans peine. Il avait déjà eu un licol, et même si cette étape pouvait paraître banale pour certains, elle était d'une importance primordiale pour la jeune fille. Alors qu'elle bouclait les dernières attaches, la longe, qu'elle avait coincé entre ses jambes en attendant, tomba au sol. Là, elle ne put le retenir, le cheval bondit, surpris, vers l'avant. Tout aurait pu s'arrêter là, mais la longe se trouvait maintenant entre ses pattes. Ne comprenant pas ce qui lui arrivait, le cheval se lança plein fard, au galop, jetant les postérieurs vers le ciel, comme pour se débarrasser d'un ennemi sur son dos. En l’occurrence, la chose qui le gênait était la longe qui lui fouettait les membres lorsqu’il galopait. Mélanie s'en mordit les lèvres. Comment avait-elle pu être aussi bête ? Le manège dura plus de 5 minutes : à chaque fois que le cheval commençait à se calmer, la longe frôlait une de ses pattes, ou bien il marchait sur le bout, ce qui lui valait un coup sec sur la tête et l’entraînait à nouveau dans une course folle. Mélanie l'observait, impuissante, priant pour ne pas qu'il se blesse.

Finalement, au bout d'une petite demi-heure, le cheval se calma et Mélanie pu s'approcher pour retirer la longe du licol. Elle choisit de laisser le licol, afin qu'il s'habitue. De toute façon, elle revenait le lendemain, si il y avait un problème, elle pourrait intervenir. Un once de déception l'envahit. Elle n'avait pas été sérieuse aujourd'hui, et c'était de sa faute si cette séance s'était terminée en bazar géant. Coupable, elle donna une dernière caresse entre les naseaux veloutés de son compagnon et sortit en traînant des pieds du paddock. Quelle cruche elle avait fait !